Sortir de la violence conjugale : une course à obstacles insensée! 28-11-01


Au Québec, les victimes de violence conjugale ont accès à des services, mais les femmes qui souhaitent quitter un conjoint violent sont-elles adéquatement soutenues pour autant?

Vers le site du Regroupement provincial des maisons d'hébergement En novembre 2001, le Regroupement québécois des maisons d'hébergement et de transition pour femmes victimes de violence conjugale tenait une commission d'études afin de dresser un portrait réaliste de la situation. Des femmes qui ont été victimes de violence conjugale, des travailleuses de CLSC, de maisons d'hébergement, une chercheuse, des intervenant-es de groupes de femmes et d'hommes sont venu-es témoigner de la réalité vécue par les femmes et les enfants qui cherchent de l'aide pour sortir du cycle infernal de la violence conjugale. Au cours de cette démarche déjà très difficile en elle-même, ces personnes doivent encore trop souvent affronter des obstacles insensés.


Saviez-vous que, quand elles quittent un conjoint violent, les femmes doivent aussi généralement quitter leur résidence, souvent aussi leur quartier, parfois leur ville ou leur région? Il leur faut donc rebâtir plusieurs aspects de leur vie alors même que la violence dont elles ont été victimes leur fait vivre un niveau élevé de détresse psychologique, qu'elles ont peur, manquent d'estime d'elles-même, sont déprimées et en plein stress post-traumatique?
Source : Solange Cantin du CRI-VIFF



PLUS DE SERPENTS QUE D'ÉCHELLES

Louise Vaillant est travailleuse sociale, psychothérapeute, formatrice et intervenante de terrain. Chaque jour, elle côtoie des femmes aux prises avec un conjoint violent. Elle a constaté que la trajectoire des femmes qui recourent aux services offerts par le réseau de la santé et des services sociaux du Québec ressemble à un jeu d'échelles et de serpents. Les échelles vers la sortie d'une relation violente, ce sont les services adaptés à la réalité que vivent ces femmes. Les serpents, ce sont ceux qui les ramènent à la case départ voire encore plus bas.

J'entends des "ben voyons, depuis le temps qu'on parle de la violence conjugale, les différent-es intervenant-es auxquel-les ces femmes ont affaire doivent bien savoir de quoi il s'agit et ajuster leurs services en conséquence!" Eh bien non.



Quand on ne traite que les conséquences de la violence conjugale

Comme vivre avec un conjoint violent affecte la santé mentale et physique des victimes, elles sont souvent amenées à consulter des médecins et divers-es intervenant-es du réseau. Nous sommes porté-es à croire que ces professionnel-les sont sensibles aux signes révélant qu'une femme vit de la violence. Dans la réalité, les intervenant-es du réseau ne sont pas systématiquement formé-es sur la problématique de la violence conjugale. Souvent, ils ne la dépistent pas et traitent seulement ses conséquences. Un exemple :

Une dépression majeure
Madame va au CLSC parce qu'elle se sent déprimée. On diagnostique une dépression majeure, on lui prescrit des médicaments et on la réfère à l'équipe psychosociale pour un suivi à court terme. Après 7 semaines d'attente, elle peut bénéficier d'un maximum de 12 rencontres avec une travailleuse sociale qui intervient selon une approche cognitive et en travaillant sur l'estime de soi et la relaxation. Elle parle un peu de ses difficultés conjugales, mais elle n'est pas encore suffisamment en confiance pour s'ouvrir complètement sur le sujet. Pour sa part, l'équipe psychosociale croit que ses problèmes conjugaux sont causés par sa dépression plutôt que l'inverse. À la fin des 12 rencontres, que se passera-t-il selon vous? Son conjoint va-t-il changer? Quand demandera-t-elle à nouveau de l'aide?


Pourquoi n'en parlent-elles pas ?
Les victimes de violence conjugale n'ont pas toujours conscience qu'elles sont aux prises avec ce problème. C'est une situation qui s'installe petit à petit et qui les démolit insidieusement. Elles se sentent inadéquates, ont honte de ce qu'elles vivent et elles sont confuses. Elles ont peur et avec raison. Leur conjoint les menace de leur faire perdre leur-s enfant-s, leur emploi, leur maison, d'être battues, violées, torturées, internées, tuées... Il serait donc d'autant plus important que les intervenant-es du réseau soient en mesure de dépister que des femmes vivent de la violence conjugale.



Une priorité pousse l'autre

Il y a quelques années, Louise Vaillant a pu former des intervenant-es du réseau à la problématique de la violence conjugale. Il n'y a pas eu de budget alloué pour faire de suivi ni pour continuer à former systématiquement les intervenant-es qui en ont besoin. Avec toutes les réorganisations et les coupures de postes des dernières années, ça bouge dans ce réseau-là. Une formation ne suffit pas une fois pour toutes. Quant au dépistage, Cécile Côté de l'Ordre des travailleurs sociaux du Québec rapporte qu'il s'en est déjà fait de façon systématique dans les CLSC et puis on est passé à autre chose. C'est une question de priorités. On forme, on dépiste puis, après 2 ou 3 ans, on établit d'autres priorités comme si le problème était réglé.



Le traitement de "problèmes de communication"

Louise Vaillant et Nicole Maillé Louise Vaillant rapporte le cas d'une femme que son conjoint blâmait d'être incapable d'accoucher sans anesthésie en plein travail. Monsieur refusait qu'on la soulage. On l'a sorti de la salle d'accouchement puis on a référé le couple aux Services sociaux. Une travailleuse sociale a alors fait des entrevues avec le couple afin de traiter leur problème de "communication". Se sentant en confiance, madame a raconté des épisodes de violence tandis que son conjoint a admis avoir été violent envers elle pendant sa grossesse. Selon la travailleuse sociale, monsieur ne faisait que traverser une phase d'adaptation à son nouveau rôle de père. Croyant mieux comprendre les problèmes de violence de son conjoint, madame croit qu'il finira par s'adapter. Elle accepte de l'aider. Au retour au domicile, elle vivra la violence la plus grave qu'il lui ait fait subir parce que, selon lui, elle a trahi leur intimité. "Je croyais qu'il allait me tuer, moi et mon bébé. J'ai gardé des marques pendant des semaines." La leçon qu'elle a retenue? Il ne faut pas qu'elle parle de ce qu'elle vit. C'est dangereux.

Traiter la violence conjugale comme s'il s'agissait d'un problème de communication, trop d'intervenant-es du réseau le font. C'est la "mode". Non seulement passe-t-on à côté du problème - il s'agit de relations de pouvoir où l'un domine et contrôle l'autre, de relations destructrices pour les victimes - mais encore leurs interventions risquent-elles de mettre des femmes et leurs enfants en danger. Parce que la violence conjugale, c'est sérieux. Elle détruit. Elle tue. Et tout particulièrement au Québec où plus de conjoints tuent leurs conjointes qu'ailleurs au Canada.


Une proportion importante de femmes victimes de violence conjugale craignent pour leur vie. Et avec raison : les femmes sont les principales victimes des homicides entre conjoints. De 1979 à 1998, le ratio de conjointes tuées pour un conjoint a été de 3,4 au Canada et de 5,5 au Québec.

Les femmes sont aussi plus susceptibles que les hommes d'être blessées lors d'une agression en contexte conjugal ou dans un autre contexte. Les risques de blessures augmentent quand leur agresseur est un conjoint actuel ou passé.

Pour plus d'information, consultez la présentation et les références de Solange Cantin du CRI-VIFF

La séparation ne met pas nécessairement un terme à la violence conjugale. Au contraire, le Centre canadien de la statistique juridique rapporte qu'elle provoque des excès de rage chez les hommes dans la majorité des cas. Les mauvais traitements subis après la séparation sont assez graves, en particulier pour les femmes. Elles courent aussi un plus grand risque d'être assassinées après la séparation. Saviez-vous que 38% de tous les homicides commis contre les Canadiennes le sont par un ex-conjoint?

Au Québec, en 2000, la violence conjugale a fait 16.000 victimes, soit 10% de plus qu'en 1999. Dans 85% des cas de violence ayant lieu au sein d'une famille, c'est la conjointe qui en est victime. À Montréal, en 2000 on a recensé 6.612 victimes de violence conjugale dont 5.610 femmes; en Montérégie, on en a recensé 2.395 dont 2.006 femmes. Les femmes subissent : voies de fait (56%), menaces (19%), harcèlement criminel (11%), agressions armées ou causant des lésions (10%), agressions sexuelles (2%), enlèvements ou séquestrations (1%), meurtres, tentatives de meurtre et voies de fait graves (moins de 1% chacun). 9 fois sur 10, l'agresseur est un homme.

D'après Le danger de l'après-rupture, Le Devoir, 01-08-01 et La violence conjugale continue de faire des ravages, La Presse, 31-07-01



LA RARETÉ DES SERVICES OFFERTS AUX FEMMES AUTOCHTONES : UN SCANDALE

Michelle Audet 80% des femmes autochtones subissent de la violence. 80% vous avez bien lu. Une violence qui ne fait pas les manchettes. Après tout, elle ne tue "que" des autochtones. Dans la même région, en un mois, deux femmes ont été tuées par leur conjoint et un bébé de 13 mois a été battu par son père qui a ensuite écrit le mot vengeance sur son ventre avant de le lancer par la fenêtre. On n'en a pas entendu parler. Un exemple parmi d'autres.

Pourquoi tant de violence? Michelle Audette des Femmes Autochtones du Québec (FAQ) explique que les communautés autochtones ont beaucoup souffert de l'obligation de devoir se séparer de leurs enfants. Dans les pensionnats, les enfants ont vécu beaucoup de violence et subi des agressions sexuelles. Aujourd'hui, la violence se perpétue et d'autant plus que les Autochtones vivent dans un contexte de pauvreté et de violence institutionnelle en vertu de la Loi sur les Indiens qui crée des situations où les membres d'une famille n'ont pas les même droits.

Dans les communautés autochtones, la violence conjugale est perçue comme étant normale. C'est à peine si on commence à percer le mur du silence. Vous croyez que la lutte contre la violence est une priorité? Eh bien non. Les femmes autochtones ont bien peu de moyens pour faire face à ce problème. Il y a seulement 5 maisons d'hébergement pour les femmes des 52 communautés autochtones et inuit du Québec. Les Autochtones ont des façons de faire qui leur sont propres (telles que des cercles de guérison), mais celles-ci ne cadrent pas dans les programmes. Les interventions sont aussi à court terme. Par exemple, les FAQ ont réalisé pendant 2 ans une campagne de sensibilisation sur la violence conjugale qui a très bien fonctionné, mais elles n'ont pu obtenir de fonds pour la poursuivre.

À l'heure actuelle, les FAQ craignent de perdre leur financement du fédéral alors que le gouvernement provincial ne se sent pas responsable envers les Autochtones. Le bureau de la condition féminine de l'Assemblée des Premières Nations vient d'être sabordé suite à des coupures de la part du gouvernement canadien. Selon Michelle, les 648 communautés autochtones du Canada sont en train d'exploser par manque de ressources et les personnes qualifiées pour intervenir sont en burn-out. Alors qu'il serait urgent d'intervenir au moyen de stratégies à long terme, les femmes autochtones voient leurs ressources diminuer. Michelle a aussi expliqué que les sages-femmes autochtones n'auront bientôt plus le droit d'exercer en vertu de la nouvelle loi québécoise réglementant cette pratique alors qu'elles jouent un rôle important dans les communautés.

Article relié : On a volé la vie de nos sœurs, 04-10-04



LES FEMMES LESBIENNES SANS SOUTIEN ADÉQUAT

Suzie Bordeleau Suzie Bordeleau du Groupe d'intervention en violence conjugale chez les lesbiennes explique que les ressources ne sont pas adaptées aux besoins des femmes lesbiennes. On intervient d'après le modèle de la violence conjugale entre hommes et femmes, ce qui ne correspond pas à ce qu'elles vivent. Par ailleurs, les maisons d'hébergement ne les acceptent pas car il leur faudrait aussi intervenir sur les préjugés envers les orientations sexuelles différentes. Le contexte de pénurie dans lequel elles oeuvrent ne facilite pas l'adaptation de leurs services aux besoins spécifiques de ces femmes. Porter plainte est pourtant d'autant plus difficile pour les femmes lesbiennes qu'elles sont ainsi amenées à faire un "coming out" multiple : auprès de la police, de différent-es intervenant-es, de leurs proches, etc., tandis qu'elles sont particulièrement isolées, leur communauté acceptant mal la réalité de la violence entre femmes.



LES FEMMES SOURDES EN DÉTRESSE

Intervenantes de la Maison des femmes sourdes En un an, la Maison des femmes sourdes de Montréal a reçu près de 250 demandes d'aide concernant des problèmes de violence conjugale. La Maison a donc développé un service d'intervention mobile qu'elles offrent aux maisons d'hébergement. La moitié d'entre elles acceptent d'accueillir les femmes sourdes, ce qui est insuffisant. Lors de leur intervention devant la Commission, on sentait la détresse des intervenantes qui doivent sensibiliser elles-mêmes le réseau et les maisons d'hébergement aux besoins spécifiques des femmes sourdes tout en tâchant de soutenir adéquatement les victimes de violence. Une bien lourde tâche à réaliser avec un minimum de ressources.



LES IMMIGRANTES PARTICULIÈREMENT VULNÉRABLES

Rosa Miranda Selon Rosa Miranda, intervenante auprès des femmes immigrantes, les femmes parrainées sont particulièrement vulnérables. Elles n'ont pas droit aux cours de français pour immigrant-es, elles ne peuvent ni étudier, ni travailler. Elles peuvent avoir droit à l'aide sociale en allant en cour, mais elles ne le savent pas. Elles sont particulièrement dépendantes de leur conjoint tout en croyant qu'elles seront expulsées du pays si elles portent plainte pour violence conjugale. Il arrive aussi qu'elles n'aient pas du tout confiance dans la police quand celle-ci avait droit de vie ou de mort dans leur pays d'origine. Elles ont grand besoin d'être soutenues dans leurs démarches, mais on manque de ressources et d'autant plus qu'il leur faut aussi des traductrices et des interprètes culturels.

Publications reliées :
Nulle part où aller?, Conseil canadien de développement social, mars 2004
Quand des cultures cohabitent, dialoguent et s'affrontent: la vie trépidante des immigrantes africaines au Québec, Ghislaine Sathoud, avril 2004




Contenu et mise en ligne : Nicole Nepton.
Photos : Charlotte Thibault
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