F E M M E S   D ' H A Ï T I   P O U R   Q U E   V I V E   L A   V I E ! 04-03-04


La crise

Vues d'Haïti- 1er numéro Depuis quelques mois, la communauté internationale est interpellée par les événements qui ont cours en Haïti. La situation actuelle est très chaotique, c'est le moins qu'on puisse dire. Le départ du président Jean-Bertrand Aristide, la prise de contrôle de la moitié du territoire haïtien par les groupes rebelles issus de la dictature et l'intervention de l'ONU nous font souvent oublier que l'opposition démocratique est unie en Haïti pour la première fois de son histoire, et que les principaux groupes de femmes du pays y adhèrent. On a tendance aussi à oublier, et les reportages sont une fois de plus muets sur la question, que la généralisation de l'impunité qui prévaut dans ces situations de vide de pouvoir sont particulièrement douloureuses pour les femmes, les enfants et les personnes âgées, qui en sont encore trop souvent les premières victimes : les cas de viols et de violence à l'endroit des femmes se multiplient, que ce soit à la maison ou dans la rue, et leurs auteurs restent impunis. L'insécurité sur les plans personnel et alimentaire s'est dégradée, comme s'il était possible en Haïti qu'elle se dégrade encore plus. Bien sûr, en dépit de ces circonstances, les femmes doivent toujours répondre aux besoins de base de leur famille, prendre soin des enfants et des personnes adultes dépendantes, malades ou âgées, dans des villes occupées ou sans sécurité, alors que l'approvisionnement en nourriture se fait plus difficile ou impossible.

Les nouveaux acteurs apparus récemment sur la scène politique haïtienne ne permettent pas de diminuer les inquiétudes de tout un chacun. En effet, le Front de Résistance anti-Aristide des Gonaïves aurait été rejoint par Louis Jodel Chamblin, personnage bien connu en Haïti, autrefois à la tête du FRAPH, un groupe paramilitaire putchiste très présent lors de la répression de 1991-1994. De plus, l'ancien directeur de la police d'un département du Nord, Guy Philippe, soupçonné, lors des élections de 2000, de préparer un coup d'État, a rejoint les rangs des rebelles. Les femmes, particulièrement, ont en mémoire les durs événements qu'elles ont vécus au cours de ces périodes.

L'opposition démocratique au régime est formée d'étudiant-es, d'organisations citoyennes, d'entrepreneurs privés, de groupes de femmes, de groupes syndicaux, paysans et autres. Ils ont réclamé le départ du président Aristide, responsable de l'apparition d'un système de terreur et d'intimidation mis en place par les "chimères", bandes paramilitaires armées à la solde de son parti, la "famille Lavalas". Mais tandis que les groupes armés contrôlent la majeure partie du territoire, un rapport qu'Amnistie internationale publiait en juin note que la Force intérimaire multinationale en Haïti n’a guère coopéré avec la Police nationale afin de garantir la sécurité et qu'elle n’a pratiquement rien fait en vue d’établir un plan global de désarmement.

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Radio-Canada : Un pays ne meurt jamais - Un pays dans l'impasse
Matoubor. Haïti 1986-1994, Cécile Marotte, 2004

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Les femmes pour la reconstruction et contre l'occupation

Le 3 avril 2004, à l'initiative de la Coordination nationale de plaidoyer pour les droits des femmes (CONAP), plus de 500 femmes et hommes se réunissaient à la Place Catherine Flon au Champ de Mars pour commémorer la journée nationale des femmes. Dans une ambiance de fête, les femmes ont réaffirmé leur volonté citoyenne de reconstruire le pays déchiré par 200 ans de luttes fratricides et par 18 ans de transition stérile (1986 - 2004). Invoquant Catherine Flon, héroïne de l'Indépendance qui avait cousu le premier drapeau haïtien en 1803, les féministes ont demandé au peuple haïtien de s'inspirer de son geste pour recoudre le tissu social aujourd'hui en lambeaux.

"Nos mauvaises pratiques politiques nous ont conduit tout droit vers l'abîme et ont fourni à l'étranger le prétexte pour nous occuper une troisième fois. Quelle gifle pour les héroïnes et héros de notre indépendance... Nous les femmes, aujourd'hui, nous décidons de reprendre la mission que nos ancêtres nous ont laissée. Nous allons recoudre notre drapeau, c'est-à-dire reconstruire notre pays dévasté."

Faites parvenir une carte postale au ministre des affaires étrangères du Canada Tout au cours de cette commémoration, les cris de "À bas l'occupation, Vive une Haïti libre!, Nous voulons la coopération et non l'occupation" ont été répétés à maintes reprises par l'assistance, dont plusieurs étudiant-es ayant lutté pour chasser l'ex président du pouvoir. Un des moments forts a été la scène émouvante de la reprise du drapeau déchiré, symbolisant la patrie divisée. Pendant 10 minutes, des femmes et des hommes ont raccommodé un grand drapeau bleu et rouge, déployé auparavant par la danseuse Florencia Pierre du groupe Dyakata qui venait d'exécuter une danse traditionnelle.

Trois membres du gouvernement de Gérard Latortue - Adeline Chancy, ministre de la Condition féminine et aux Droits de la femme, Magalie Comeau Denis, secrétaire d'État à la Culture, et Yves André Wainright, secrétaire d'État à l'Environnement - sont venus encourager les femmes qui en ont profité pour rappeler leurs desiderata en faveur de la reconnaissance de la participation des femmes à la lutte pour l'indépendance nationale. "Nous profitons de la présence de Mme Chancy pour demander que soit érigé le plus tôt que possible, ici sur cette place où nous sommes au Champ de Mars, un monument en hommage à Catherine Flon", a martelé Myriam Merlet de l'organisation Enfofanm (Info femmes).

Les femmes ont également repris leurs revendications contre toutes les formes de violence à l'égard du sexe féminin, en faveur de la fin de l'impunité, de mesures économiques efficaces pour lutter contre la féminisation de la pauvreté, de services de santé, d'emplois, du droit à la syndicalisation, de la participation des femmes dans toutes les sphères de décision, etc. La cérémonie s'est terminée devant le Palais de Justice en direction duquel les participant-es ont marché le drapeau recousu sur la tête, scandant des slogans contre la présence de militaires étrangers dans le pays.

En 2000, un groupe de féministes décrétait le 3 avril journée nationale des femmes haïtiennes, en souvenir de la première grande manifestation qu'elles ont organisée à la même date en 1986, après la chute du dictateur Jean Claude Duvalier. Depuis, eles n'ont pas cessé d'exiger que les fondatrices de la nation soient officiellement représentées à la place des Héros de l'indépendance, où l'on ne trouve que des monuments exclusivement consacrés à des hommes, alors que beaucoup de femmes ont joué un rôle très actif dans la lutte pour l'indépendance proclamée le 1er janvier 1804.

Source : Colette Lespinasse, 05.04.04

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Pour une véritable construction nationale basée sur des principes de droit

La Coordination nationale de plaidoyer pour les droits des femmes (CONAP) observe avec satisfaction que les différents secteurs appelés à former le Conseil des Sages s'activent à désigner leurs représentants et représentantes au sein dudit Conseil. Ce faisant, ces composantes de la société haïtienne démontrent leur volonté de prendre en main notre destin collectif. La CONAP applaudit d'autant plus ces nominations que, préoccupée par les différentes tentatives de mise sous tutelle de notre pays, elle demeure convaincue que la constitution d'un Conseil de Sages qui soit une véritable émanation nationale peut constituer un pas vers la reprise du contrôle national dans la difficile situation que nous traversons. L'ensemble des forces vives de la nation doit prendre conscience de l'importance du rôle que le Conseil des Sages est appelé à jouer. Tout en réclamant l'inclusion d'autres secteurs pour assurer une meilleure représentativité de la nation, la CONAP exhorte toutes les organisations du pays à appuyer cette instance afin qu'elle puisse véritablement accomplir sa mission.

La CONAP est vivement préoccupée par la volonté des communautés internationales d'imposer une solution factice à la crise conjoncturelle que traverse le pays. Non satisfait d'occuper militairement le territoire national et d'avoir évacué les populations du processus de démission de l'ancien dictateur, qui en partant s'est assuré de la mise en place d'un scénario de chaos total, les pseudos Amis d'Haïti imposent la présence de membres influents d'un régime décrété hors-la-loi par l'ensemble des forces vives de la nation. Messieurs Yvon Neptune et Lesly Voltaire sont des responsables directs de plusieurs actes de répression sauvage sur les populations et de la corruption qui s'est érigée en système durant le règne Lavalas. La CONAP comprend très mal comment de tels individus peuvent prétendre jouer un rôle constructif dans un processus de transition. Une véritable reconstruction doit catégoriquement divorcer avec des pratiques d'impunité! Ces hauts dignitaires de Lavalas doivent répondre de leurs crimes contre les populations haïtiennes avant de prétendre jouer un rôle quelconque dans la gestion du pays. La CONAP exige la mise en mouvement de l'action publique contre tous les membres de l'ancien régime hors-la-loi.

L'action publique doit être mise en mouvement contre les hors-la-loi de tout acabit. Une enquête sérieuse doit être enclenchée dans les meilleurs délais sur les actions des différents groupes et corps armés. Tous les commanditaires, auteurs et complices des exactions de ces différents groupes et corps armés doivent êtres identifiés. Toutes les zones d'ombre sur la présence des corps armés, venant embrouiller la situation des derniers jours, devront être éclaircies afin de permettre aux populations d'être édifiées sur les rôles des différents acteurs de la crise et de sa soi-disant résolution. Tout comme de larges composantes de la population, la CONAP ne saurait accepter la réapparition de membres du FRAPH - Front révolutionnaire pour l'avancement et le progrès haïtien - et de l'ancienne Armée d'Haïti comme des faits endogènes.

Quel que soit le rôle joué par ces forces armées dans la crise actuelle, rien ne saurait justifier la restauration de fait de l'Armée d'Haïti. Cette question doit faire l'objet d'un débat national. La nation haïtienne doit pouvoir s'entendre sur les missions des forces de sécurité et surtout sur les mécanismes de fonctionnement et de contrôle, afin d'éviter la réédition d'une situation de perversion de ces forces, avec une main mise par un groupe politique.

La CONAP exhorte une fois de plus toutes les composantes de la société haïtienne à divorcer d'avec des pratiques politiques qui ne font que conduire notre nation à sa perte. Nous devons nous donner les moyens d'une véritable construction nationale basée sur les principes de droit. D'autres pratiques politiques sont nécessaires pour que vive la nation haïtienne!

Myriam Merlet pour la CONAP, Port-au-Prince, 03-03-04

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Mis en ligne le 1er novembre 2003 par Nicole Nepton
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