CHILI :  L A   D O U L E U R   D E R R I È R E   L A   F A Ç A D E 23-09-03

par Brigitte Verdière


A 30 anos Chili Fernando ha vuelto (Fernando est de retour). Fernando, c'est le fils, le frère, le bien-aimé. En 1973, comme des milliers d'autres jeunes Chiliens et Chiliennes, Fernando a été arrêté, torturé, assassiné. Sa famille ne l'a jamais revu. Elle a attendu 25 ans pour avoir de ses nouvelles, celles que lui a transmises l'Institut médical du Chili : un message en forme d'ossements. Fernando a été identifié, sa dépouille a été rendue à sa famille. Pinochet, tortionnaire en chef de ce pays où il a causé tant de douleurs et commis des crimes atroces, Pinochet donc, malgré des mandats internationaux lancés contre lui, est toujours vivant.

Fernando ha vuelto est un documentaire que Silvio Caiozzi a réalisé en 1998. Il a été projeté le 12 septembre 2003 à la Cinémathèque de Montréal, le lendemain du trentième anniversaire du coup d'État de Pinochet. J'ai vu ce documentaire en 1999 à Santiago du Chili, dans le cadre d'un festival de films. Un silence pesait sur la salle pendant sa projection. Pinochet venait de rentrer de Londres. Il est toujours là, le vieux Pinochet, sénile et protégé.

Alors que dans l'Argentine voisine, le nouveau président Néstor Kirchner a annulé les lois d'impunité qui protégeaient les tortionnaires d'une dictature tout aussi sanglante, les Chilien-nes attendent toujours un geste de leur gouvernement. "Il n'y a eu qu'une seule condamnation dans le passé : celle d'un militaire qui a écopé de six ans, imaginez six ans seulement! pour avoir égorgé en 1982 Tucapel Jimenez, un homme simple, un menuisier, un syndicaliste, assassinat qui avait été camouflé en suicide", s'indigne Patricia Silva Soto, présidente de l'Association des familles des personnes assassinées sous la dictature (Agrupacion de Familiares de Ejecutados politicos, AFEP) du Chili.

L'association exige la fin de l'impunité envers les responsables de violations des droits humains (assassinats, disparitions...), déclarée par Pinochet pour les crimes commis entre 1973 et 1978, et appuie le travail des avocat-es et juges, ce qui a permis d'ouvrir quelque 300 procès contre des militaires. Ceux-ci utilisent la formule légale de "l'enlèvement permanent" afin de garder les procès ouverts. Elle réclame l'abrogation de la loi d'amnistie qui fait qu'au Chili, "les tortionnaires se promènent librement dans les rues".

Pour se consacrer aux activités de l'association, Patricia a abandonné son métier de sage-femme. Elle était de passage à Montréal le 17 septembre 2003, après une tournée à travers le Canada. Le Chili 30 ans plus tard Elle parle d'une voix distincte, sobre, toute tendue de passion. Elle aussi a eu un frère. Ricardo étudiait, il croyait à un monde meilleur, un monde comme Allende en laissait présager un, un monde sur lequel un militaire sanguinaire a jeté un voile sombre. Ricardo a été assassiné avec onze autres jeunes gens par l'armée chilienne.

"Il n'y a pas de réconciliation possible au Chili. La réconciliation est un rapprochement entre deux parties qui étaient conciliées à une époque, ce n'est pas le cas au Chili", dit Patricia. Elle récuse aussi l'idée d'indemnisation des victimes calculée sur ce que la personne disparue gagnait, afin d'obtenir plutôt une réparation égale pour toutes. "La valeur de chaque personne est la même. Nous voulons une reconnaissance morale", clame-t-elle.

Pour elle, la brèche au sein de la société chilienne est profonde, enracinée dans l'histoire même du pays, aggravée par la dictature et les mesures de restriction budgétaire imposées par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. "Les banques, les mines sont privatisées. Il n'y a pas eu de réforme agraire. Il y a beaucoup de pauvreté", indique Patricia qui s'insurge contre l'image "pacifiée" que le gouvernement chilien, relayé par les médias, présente à l'étranger. "Aucun moyen de communication n'est libre. Les universités sont inaccessibles aux personnes pauvres. L'avortement est illégal. Il y a des tests de grossesse à l'embauche des femmes sur tous les lieux de travail".

La loi sur le divorce votée en mai 2003 n'est pas encore en application. L'Église catholique reste puissante dans le pays et fait tout pour freiner la mise en oeuvre du texte! Elle dénonce aussi la répression envers le peuple Mapuche qui lutte pour récupérer ses terres, sur la rivière Biobio. "Les populations autochtones sont très discriminées", confirme-t-elle.

Patricia est venue au Canada chercher des solidarités pour le combat de l'Association contre l'impunité, mais surtout pour parler, parler sans relâche de son pays, de ce qui s'y passe vraiment. La campagne de l'Association a pour nom "Vérité, Justice et Mémoire pour les nôtres".




Chronique suivante >>>
Chronique précédente >>>

Luttes et résistances >>>



"Mon peuple a été le peuple le plus trahi de notre temps. Du fond des déserts du salpêtre, des mines du charbon creusées sous la mer, des hauteurs terribles où gît le cuivre qu’extraient en un labeur inhumain les mains de mon peuple, avait surgi un mouvement libérateur, grandiose et noble. Ce mouvement avait porté à la présidence du Chili un homme appelé Salvador Allende, pour qu’il réalise des réformes, prennent des mesures de justice urgentes et arrache nos richesses nationales des griffes étrangères. Partout où je suis allé, dans les pays les plus lointains, les peuples admiraient Allende et vantaient l’extraordinaire pluralisme de notre gouvernement. Jamais, au siège des Nations Unies à New York, on n’avait entendu une ovation comparable à celle que firent au président du Chili les délégués du monde entier.

Dans ce pays, dans son pays, on était en train de construire, au milieu de difficultés immenses, une société vraiment équitable, élevée sur la base de notre indépendance, de notre fierté nationale, de l’héroïsme des meilleurs d’entre nous. De notre côté, du côté de la révolution chilienne, se trouvaient la constitution et la loi, la démocratie et l’espoir. De l’autre côté il ne manquait rien. Ils avaient des arlequins et des polichinelles, des clowns à foison, des terroristes tueurs et geôliers, des frocs sans conscience et des militaires avilis. Tous tournaient dans le carrousel du mépris."

Extrait de J’avoue que j’ai vécu de Pablo Neruda

RISAL: Chili

Monde diplomatique: Chili

Halte aux méga-projets en territoire mapuche

La résistance au féminin, rencontre avec Marilù Mallet, réalisatrice de La Cueca Sola, 08-03-04

Exigeons la fin de l'impunité au Chili, Comité chilien pour les droits humains, 07-09-03

Chili, une plaie jamais refermée, Politis, 28-08-03

Le Chili 30 ans plus tard, Zone libre, 05-09-03

11 septembre: ils ont abattu la démocratie, Charles Heimberg, 10-09-03

Septembre de terreur, Granma International, 02-09-03



retour en haut de la page


Édition Web et mise en ligne : Nicole Nepton