I L   E S T   T E M P S   D E   C U L T I V E R   S O N   J A R D I N 05-03

par Brigitte Verdière


Il y a, sur la terrasse de mes voisins, deux pots de géranium d'où éclosent des fleurs rouge sang. L'érable à Giguère qui fait face à ma fenêtre balance ses branches chargées de pousses vertes. Et, quand je me promène dans les rues de mon quartier, pourtant peu réputé pour ses espaces verts, je m'arrête, tel un chien de chasse sur sa piste, pour humer de multiples senteurs, légères, évanescentes comme la brise qui les diffuse.

Vous l'aurez compris : c'est le printemps. Un printemps encore instable, mais réel, et d'autant plus bienvenu qu'il a tardé à se manifester. Mais tous les signes sont là. Parmi ces signes, outre les fragrances dont je vous ai fait part, il y a l'agitation de tous les jardiniers en herbe. Cela bouge dans les jardins, dans les plates-bandes, au pied des arbres pour ceux qui n'ont ni l'un ni l'autre. Et vas-y que je choisis mon rosier, vas-y que je passe la tondeuse, pousse gazon, vite, vite, bien frais. L'Amérique du Nord est friande de pelouses vertes, héritage british, j'imagine, et comme je ne peux que gâcher les plaisirs à un certain moment, je vous rappellerai à quel point c'est gourmand en eau.

À propos d'économie (intelligente), je vous signale aussi que s'est déroulée, mi-mai 2003, une Semaine du commerce équitable. Thé, café, cacao, sucre... à un prix qui ne lèse pas le producteur, lui assure un revenu régulier, stable, suffisant pour couvrir ses besoins essentiels et poursuivre ses productions sans s'endetter, voilà la formule. Quand je bois mon café éthiopien, dont l'emballage est dûment marqué du sceau Fair trade, au moins, j'ai un sentiment de bonne conscience. On fait ce que l'on peut!

Et c'est bien ce que beaucoup d'entre nous faisons : ce que l'on peut. Pour participer le moins possible au gaspillage mondial et donc à la surexploitation des richesses, dont on paiera un jour le prix fort. "On" signifie d'ailleurs les générations futures. Pauvres petits! C'est déjà pas drôle aujourd'hui, alors demain... Mais vous avez remarqué à quel point la nature se venge? Tremblements de terre, typhons, sécheresses... certes les catastrophes ont toujours existé, mais d'un coup, il semble qu'elles ne cessent plus. Et j'ai oublié de citer tous ces nouveaux virus qui apparaissent soudain, tuant quelques milliers de personnes d'un seul coup.

Bien sûr, la vengeance est injuste, parce qu'elle ne touche pas tout le monde de la même façon. Ce sont les personnes âgées et les malades qui meurent en premier de la pneumonie atypique. Tout comme ce sont les maisons des pauvres qui s'effondrent en premier lors de glissements de terrain. Construites de pauvres matériaux dans les endroits les plus hostiles (ravins, pentes, bords de rivières...), elles sont balayées comme des fétus de paille dès qu'une catastrophe naturelle survient.

Extrait d'une murale près du Centre St-Pierre, Montréal. Photo: Nicole Nepton À la toute fin de son Candide, Voltaire émet la réflexion qui m'a servi de titre dans cette chronique : "Il faut cultiver son jardin". Je parie que des professeurs de français sadiques vous ont fait suer autour de cette belle maxime (introduction, thèse, antithèse, synthèse, cela vous dit quelque chose?). Avant cela, Candide a fait le tour du monde, de l'Europe à l'Amérique latine pour échouer en Orient. Il a connu mille malheurs, perdu trace des siens, les a retrouvés dans les circonstances les plus inattendues. Lues au premier degré, les aventures de Candide ressemblent à une bouffonnerie sans nom. Je me demande ce que cela donnerait en bande dessinée, peut-être cela sauverait-il le genre. Au second degré, bien sûr, on y voit autre chose : la critique de l'idée, alors en cours, que notre monde était le meilleur des mondes possibles.

Certes, dans le jardin "idéal" de Voltaire, les femmes n'ont pas le rôle le plus intéressant : elles y font des gâteaux, de la broderie et de la lessive. Aux hommes la menuiserie et le jardinage. Le vieux philosophe grognon n'était pas plus progressiste que ses collègues sur ce plan! Et certes, si Voltaire nous invite à cultiver notre jardin c'est parce que l'on y travaille à la sueur de son front et que le travail protège de tous les vices!

Mais le mythe du repli sur le jardin, avouez, à l'ombre de votre arbre ou à vous balancer sur votre berceuse, sous une tonnelle de rosiers en fleurs... Ne me dites pas que vous ne l'avez jamais fait! Même moi j'y songe parfois (et je n'ai, encore, jamais cultivé de jardin de ma vie, ce qui signifie que cela pourrait être un fiasco total). Mais toujours, un combat nous ramène à la réalité, et hop! on replonge dans l'action, on se mobilise, on écrit, parle, signe des pétitions, rédige des mémoires...

Les mots sont comme les parfums des fleurs, légers, inconsistants, mais prenants. Une fois que l'on s'engage, on ne recule plus, c'est comme un pacte signé avec la vie. Il y aura, certes, des moments de repos, des haltes, mais l'on repartira. Je pourrais vous citer des tonnes de femmes à travers le monde qui sont des militantes convaincues, qui ont été jusqu'au bout de leurs idées, au bout de leur vie. Mais demandez à vos copines la femme qui les a le plus marquées dans leur vie, celle qui a été un modèle de force et de courage... la plupart vous citeront leur mère.

Et j'avoue que les mères des Québécoises, dont les enfants ont la cinquantaine aujourd'hui, ont eu du mérite. Une flopée d'enfants, du travail à n'en plus finir, des éléments naturels hostiles (froid, incendies, inondations...). La nature se défendait, que voulez-vous, elle ne voyait pas les nouveaux arrivants d'un bon oeil. Mais ces femmes ont tenu bon. Et, elles, quand elles cultivaient leur jardin, c'était rarement pour y mettre des fleurs. Elles y plantaient le nécessaire, ce qui alimenterait la soupe : les choux, les pommes de terre, les poireaux...

Décidément, il y a mille et une manières de cultiver son jardin. Je vous l'ai dit : cela ne signifie pas nécessairement le repos et le retrait du tumulte du monde.




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Extraits de Candide

"...la nouvelle s'était répandue qu'on venait d'étrangler à Constantinople deux vizirs du banc et le muphti, et qu'on avait empalé plusieurs de leurs amis... Pangloss, Candide et Martin, en retournant à la petite métairie, rencontrèrent un bon vieillard qui prenait le frais à sa porte sous un berceau d'orangers. Pangloss, qui était aussi curieux que raisonneur, lui demanda comment se nommait le muphti qu'on venait d'étrangler.

"Je n'en sais rien, répondit le bonhomme, et je n'ai jamais su le nom d'aucun muphti ni d'aucun vizir. J'ignore absolument l'aventure dont vous me parlez; je présume qu'en général ceux qui se mêlent des affaires publiques périssent quelquefois misérablement, et qu'ils le méritent; mais je ne m'informe jamais de ce qu'on fait à Constantinople; je me contente d'y envoyer vendre les fruits du jardin que je cultive."

Ayant dit ces mots, il fit entrer les étrangers dans sa maison : ses deux filles et ses deux fils leur présentèrent plusieurs sortes de sorbets qu'ils faisaient eux-mêmes, du kaïmac piqué d'écorces de cédrat confit, des oranges, des citrons, des limons, des ananas, des pistaches, du café de Moka qui n'était point mêlé avec le mauvais café de Batavia et des îles. Après quoi, les deux filles de ce bon musulman parfumèrent les barbes de Candide, de Pangloss et de Martin.

"Vous devez avoir, dit Candide au Turc, une vaste et magnifique terre? - Je n'ai que vingt arpents, répondit le Turc; je les cultive avec mes enfants; le travail éloigne de nous trois grands maux : l'ennui, le vice, et le besoin."




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Édition Web et mise en ligne : Nicole Nepton