C E S S O N S   D ' O U B L I E R   L E S   F I L L E T T E S   S O L D A T E S 05-03-04

par Brigitte Verdière


Où sont les filles? Je vous parlais récemment de la force des écrits. Voici un ouvrage qui va bien dans le sens de mes propos. Intitulé Où sont les filles?, il est édité par Droits et démocratie et porte sur un phénomène peu connu, celui des fillettes enrôlées dans les armées, qu'il s'agisse des armées gouvernementales régulières, celles des forces paramilitaires, des milices ou des groupes d'opposition armée. On connaît mieux le phénomène des garçons soldats, mais les petites filles sont elles aussi obligées de porter les armes, de combattre, de terroriser, de mutiler et de tuer. Outre les sévices, brimades, conditionnements physiques et psychologiques qui transforment des enfants en tueurs, elles sont violées et deviennent les esclaves sexuelles des combattants. Une fois la situation normalisée, elles sont les grandes oubliées des programmes de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR).

Susan McKay et Dyan Mazurana, qui en sont les deux auteures, décrivent les besoins spécifiques des filles pour retrouver une vie normale. Elles cherchent à sensibiliser les bailleurs de fonds canadiens et autres (Agence canadienne de développement international (ACDI), Nations Unies, etc.), les gouvernements des pays touchés par la guerre et les organisations gouvernementales et non gouvernementales à la nécessité de concevoir des mesures et des programmes pour protéger les filles dans les situations de conflit armé et pendant l'après-guerre.

Leur document se base sur l'analyse de la situation dans quatre pays africains où des guerres se sont déroulées ces dernières années : le Mozambique (1976-1992), le nord de l'Ouganda (de 1986 à aujourd'hui), la Sierra Leone (1991-2002) et la République démocratique du Congo. Les petites filles enrôlées effectuent les corvées domestiques. Elles portent les messages, sont chargées d'espionner. Elles servent d'esclaves sexuelles aux combattants, étant souvent attachées à un seul homme. Les auteures estiment que dans 34 des 55 pays où de telles pratiques existent, les fillettes combattent souvent sous l'emprise de la drogue et de l'alcool. Quand elles refusent d'obéir ou tentent de s'échapper, elles sont battues, précise Amnistie internationale qui a aussi étudié le phénomène.

L'organisme évalue à plus de 300.000 le nombre d'enfants de moins de 18 ans forcés de se battre dans des conflits armés dans plus de 30 pays - dont 50% sont des filles, en Ouganda, en Sierra Leone et au Mozambique. Si les combattantes et combattants ont en général de 15 à 18 ans, le recrutement a souvent lieu dès l'âge de 10 ans et même moins. Certains enfants, note Amnistie, rejoignent spontanément les forces armées pour "des raisons de stratégie pure pour leur survie : manger, boire, un endroit où dormir, un réseau social. Les enfants s'engagent pour ne plus être seuls, pour se venger de ce qui est arrivé à leur famille, après avoir été eux-mêmes maltraités ou avoir été témoins de mauvais traitements..." D'autres sont enlevés de force et enrôlés. Un peu partout, les entraînements sont particulièrement éprouvants et les jeunes filles, même enceintes, sont forcées d'y participer.


Échec de la réinsertion

Le point fort de l'étude est d'insister sur l'échec pour les filles des politiques de réinsertion de la plupart des gouvernements et organismes. Car, une fois le conflit achevé, il n'y a souvent aucun programme spécifique pour elles. Les jeunes interrogées souhaiteraient reprendre une scolarité, suivre une formation professionnelle, mais sans soutien, que faire? Rentrer dans leur communauté est souvent impossible. Des filles sont rejetées parce qu'elles ont été violées. Souvent elles ont eu un ou des enfants, quand elles n'ont pas, au contraire, été obligées d'avorter, comme cela semble être la pratique dans certaines groupes comme les Forces armées révolutionnaires colombiennes. J'ai déjà évoqué ce phénomène dans un texte sur les Bosniaques et dans d'autres écrits sur les crimes d'honneur. Les victimes sont doublement victimisées. Celles et ceux qui devraient les aider se transforment en bourreau. Les petites filles, sans ressources, se retrouvent à la rue, se prostituent, avec le risque de contracter des maladies. La propagation du VIH/sida est importante chez ces fillettes. Un volet qui fait également cruellement défaut est le soutien psychologique dont ces jeunes filles ont besoin. La question est toujours la même : comment continuer à vivre? Comment reconstruire sa vie?

Dans certaines sociétés africaines qu'elles ont étudiées, Mme McKay et Mazurana ont observé "des rituels collectifs qui visent à les réintégrer au sein de la communauté et à protéger cette dernière". Mais là où rien de tel n'existe, l'avenir semble bien noir. D'autant plus que "les hostilités et l'idéologie militariste intensifient le sexisme", ont-elles constaté, et que, rappelons-le, les gouvernements sont souvent ceux-là même qui embrigadent les enfants. Le livre se termine par une présentation de mesures à adopter pour aider les petites filles à "reprendre leur vie en main".




Maudit pays imaginaire!
par Catalina Guerra

Une fillette, enterrée jusqu'au cou, dans un Armero qui n'existe déjà plus, un garçonnet mourant de cancer dans un pays qui, également, n'existe plus. C'est un pays fictif, où les fils n'ont pas de père, et les mères pleurent les fils qui n'existent plus.

C'est une mort lente celle de ce pays fictif qui éteint ses fils un à un. Une mort comme celle du garçon de la presse, comme celle de la fillette d'Armero.

Maudit pays imaginaire!

Nous regardons, nous, les enfants, terrorisés, le pays fictif nous enlever nos parents et nous ensevelir lentement dans une avalanche de fumier. Nous mourons là, les enfants. Lentement, à la lumière des caméras et des journaux du monde.

La mort arrive, lente, dans ce pays fictif, elle s'assied à tes côtés, silencieuse, comme la faim. Elle te donne la main, la mort lente, te caresse, te rappelle que tu es une fillette fictive dans un pays imaginaire, où la vie est mourir.

Maudit pays imaginaire!

Et moi je me lève, je touche ma peau, je ne suis pas encore tout à fait morte, pas comme la fillette qui mourut dans la boue, ni comme le garçonnet naufragé dans la presse. Je prends la mort par la main, doucement, et je chemine, dans le pays imaginaire, à la recherche de cette enfance perdue.

Je cherche un père pour lui donner un fils, un fils pour le ramener à une mère, je cherche un frère qui perdit la trace de sa soeur. Je cherche encore la tombe vide, je cherche à cheminer vers un village fictif et entendre au loin le tumulte d'enfants inexistants mais gais, je cherche le fils qui n'est pas parti, celui qu'ils n'emmenèrent pas, celui qu'ils ne ramenèrent pas déchiqueté. Maudit pays imaginaire!

Viens, si tu vis encore, si tu n'es pas déjà mort de la mort lente de l'enfance arrachée, oui, viens... Cherchons un enfant qui meurt lentement, serrons-le sur la poitrine, donnons-lui la vie, cherchons-lui son père, faisons-le rire avec des contes extravagants de cités lointaines et imaginaires, faisons-le pleurer avec notre bonté.

Dans un pays fictif, où l'enfance meurt d'une mort lente imaginaire, on cherche un acte d'amour, spontané, juste, décisif. Un seul, avant de mourir.

Poème publié dans Latin Reporters




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Enfances volées

Le site d'Enfants du Monde reprend quelques-unes des solutions proposées par l'UNICEF, le Comité International de la Croix Rouge et la Conférence de Winnipeg de septembre 2000 sur les enfants touchés par la guerre pour agir contre le phénomène des enfants soldats :

- faire des campagnes de promotion des normes juridiques nationales et internationales afin d'encourager les gouvernements à faire pression sur les pays où l'on trouve des enfants soldats

- les États doivent ratifier, incorporer à leur législation nationale et appliquer sans restriction le Protocole additionnel lié à la Convention relative aux droits de l'enfant

- des programmes de réinsertion sociale et de soutien psychologique doivent être mis en place parallèlement aux opérations de démobilisation ou de maintien de la paix; des mesures spéciales doivent être prises pour éviter que les enfants ne s'engagent ou ne soient enrôlés à nouveau

- les enfants soldats doivent être mis à l'abri de la vengeance, de l'exécution sommaire, de la détention arbitraire et de toute autre mesure punitive; toute poursuite en justice impliquant des enfants soldats doit se faire dans un esprit de justice garantissant l'équilibre psychologique ainsi que la réinsertion sociale de l'enfant.

Voir aussi :
Un monde digne de nous, Forum des enfants, 08-05-02



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Une coalition d'ONG

Amnesty International, Defence for Children International, Human Rights Watch, International Federation Terre des Hommes, International Save the Children Alliance, Jesuit Refugee Service, le Quaker United Nations Office-Geneva and World Vision International font partie de la Coalition to Stop the Use of Child Soldiers (CSC). La coalition mène des recherches, des actions de formation et de sensibilisation et propose des actions. Elle suit de près les législations existantes telles que le Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits de l'enfantet concernant la participation des enfants aux conflits armés, adopté le 25 mai 2000 par l'ONU.



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Édition Web et mise en ligne : Nicole Nepton