P A R O L E   D E   P U T E   par Roxane Nadeau 10.2002


S'asseoir ensemble pour avancer. Est-ce possible, mesdames.

Tentative d'arrimage qui étouffe dans un soleil de napalm, de mines anti-prostitutionnelles.

Laissez-la donc tranquille TABARNAK. Marie-Claude Pratte, 2000 Nous faire croire à une victoire, alors que ça a tout pris pour qu'enfin, peut-être, dans cinq ou dix ans, on ne soit plus mises en taule. Picossage de bien pensantes, la tentation si forte de sans cesse embrocher les poulettes pour contrôler les pôles. Les abolitionnistes prêtes à tout, jusqu'à un recul historique, jusqu'à nous mettre en cage elles-mêmes.

      On a voulu notre peau, parce qu'on sait ce qu'on vit et qu'on dit que notre boulot, c'est un boulot.

Parce qu'on travaille avec notre corps. Avec le plaisir, le pouvoir. Et la peur.

Nous faire croire à une victoire, passée à la majorité, d'un cheveu déjà coupé en quatre. La décriminalisation des métiers et des clients sur la glace.

      Pourtant, on sait ce qu'on vit et on dit que c'est mieux. Moins méprisant, moins violent.

Et c'est ça qu'on veut. Ne plus être mises en proie. Ne pas faire les frais de la grande guerre. Ne pas être abolies, par qui que ce soit. Être reconnues et respectées.

Travailleuses, du sexe, absolument. Du cash, plein de cash, à coups de danses à dix, de blowjobs et de zing zing.       Et qui rêvent encore.

 Aussi parce que.  Justement.

Se faire taire le désir d'être bien. Joyeuses, trop joyeuses, pas d'allure de vouloir être heureuses grâce à ça. Menottes de chasteté, des gants d'acier pour pointer du doigt. L'indigeste condescendance des absolutionnistes qui posent des bombes dans les coeurs à force de t'as pas le droit de ci et de tu ne comprends pas ça. De tu ne sais pas ce qui t'arrive. Les mères-loi qui carburent aux histoires de fillettes et aux femmes le plus scratchées possible. Oui, certaines de nos histoires. Certaines seulement. Nous trafiquer toutes, même quand nous décidons, nous, de changer de pays pour faire plus d'argent. Nous trafiquer toutes, même quand on dit que ce n'est pas ça qu'on vit. Nous abaisser toutes, rejeter nos orgasmes de corps, de tête et de cash. De toutes sortes. Nos quotidiens et nos payes.

Pour mieux nous réhabiliter.

La réforme des sorcières en jarretelles, qui s'énerve à encore vouloir brûler les brassières, les plus sexy surtout. Détacher la meute de gardes du corps, la police du bien qui regorge d'interdits. Montrer les crocs aux dissidentes et faire la gueule aux transgressives, la subversion traitée comme une chienne.

 La mutinerie des ventres sur la job.
 Les vautours de nos prisons

 La solution finale
 Foutons-les aux camps !

  Décâlisser la dignité
 Des millions de femmes gagne-pain.

L'accueil compte goutte à condition de pardon ma mère, j'ai péché, oui, je ne suis qu'une pauvre petite. Nous évincer de tout, de nos plaisirs et de nos terreurs, de nos trips de pouvoir et de séduction; nos porte-feuilles troués, le ventre vide de nos enfants et même nos rêves torpillés. Nous faire victimes à tout prix. S'approprier jusqu'à nos scratchs pour nous discréditer. Ou nous traiter de peaux blanches d'occident, de manipulatrices d'assemblée, de traîtres, de mauvaises femmes.

De sales putes, quoi !

Woh, minute !

Rebondire, deux trois vrilles sur des six pouces

 Paroles de putes !

Ne pas être martyrs, refuser le bûcher, l'hôpital de qui veut nous guérir.

 Paroles de putes !

Danser sur l'herbe fraîche, puisque tout est possible. Tout à fait folles et fières. De tous les temps, de par le monde. Partout les couleurs.

Et merde à la meute qui tient à japper encore, à chercher le bobo, le mafieux de nos idées. Qui tient à sa cible, à frapper dans le mille. Direct dans le ventre de nos talons, des centaines d'années à se faire donner des jambettes.         Remettre encore et toujours les aiguilles à l'heure.

Sex Symbol. Marie-Claude Pratte

Nous savons marcher hautes !

Le droit de dire non, le droit de dire oui et le droit de dire je charge tant !


Prendre d'assaut les silences, dans la rage de coeur théorique d'abjection à tout prix.

Quinze queues mal lavées.         Je te jure, c'est dans les statistiques !

Des conditions de travail. Parce que quand t'en suces quinze, surtout pour du cash, surtout mal lavées, t'es sur la job !

Je te jure, c'est moi qui les suce !

  Et demander ce qui est le pire, le plus mal.
  De sucer

                  D'en sucer quinze
  De charger pour

                Ne pas nous reconnaître le droit et le pouvoir d'exiger qu'elles soient propres.

Les dopées aux réunions pour abolir le monde qui connaissent, avec des chiffres sensas, nos histoires d'horreurs, de sida, d'abus et qui continuent de trouver jouissif comment c'est terrible.

Quand on dit que c'est ça, qui nous tue.

                Ne pas avoir les conditions pour faire que monsieur enfile sa capote.

                Le mépris de monsieur, madame tout le monde.


Des claques sur la gueule qui colonisent avec l'agresseur, complices des trous noirs quand nos bordels sont malfamés, à coups de Fuck you pute, pauv'p'tite, ce n'est pas un travail, maudite droguée, c'est donc de valeur ! Ne pas nous croire quand on dit que c'est ça, qui nous tue. Et continuer, à coups de Il faut que t'arrêtes, à coups de caps d'acier dans la face, tiens ma criss de chienne et de t'as pas le droit, tu nuis à toutes les femmes, fuck you pute !

La même chose, les deux côtés du même trophée

Arrache-coeur

Penser tout savoir, tout avoir et ne rien toucher de nos trésors.

Pleurer. Pleurer, puis continuer.

Avoir du cran.

Non à la criminalisation du travail du sexe. Non à la criminalisation des clients. Ne plus être malmenées.

Mais, toujours, ne pas nous croire. Continuer plutôt à être éméchées par les tempêtes de farouches, les célébrations de voluptés et les serpentes de zones industrielles. Continuer quand même de vouloir exterminer tous les monsieurs casse-croûte et parker ainsi, encore plus, les filles dans des ruelles éteintes sous des ponts meurtriers. Nous foutre dans la gueule du loup, en première page du photo police. Faire de nous des statistiques oubliées.

La sécurité garochée ben raide dans des affres de peur. Complètement foutues par vos opérations clients.

Obligées de se cacher. De se cacher encore plus

Pour s'exposer encore plus

À l'horreur.

  Les polars qui débarquent dans la tête.
  Dans le coeur et dans le corps.

Les putes, oui, les travailleuses du sexe, agressées 20 fois plus que d'autres femmes !

20 fois plus sacrament !

65.000 à Calcutta, 20.000 à Phnom Phen, 6.000 à Montréal, partout, à hurler sans cesse que la criminalisation nous fait crever ! Se foutre de nos cris.

Les trous noirs des porcheries colombiennes, six pieds sous terre sacrament !

Non à la criminalisation des clients, pour déterrer l'agresseur, l'assassin. Ne plus être en danger.

Mais se foutre de ce que l'on dit. Trop occupées à nous caser dans des rapports de colonnes qui réfléchissent encore sur le pays modèle. Accrochées aux faux habits de suède, aux loteries arrangées. Trop occupées à vouloir nous sortir de tout, plutôt que de là. La perversion des théories bandits, les coups de couteaux dans le dos. Quand seules les repenties valent la peine. Obligées d'avoir été abusées et s'excuser de se faire égorger. Pour être reçues. La honte. Attisée par les supérieures sous le couvert qu'il faut que ça arrête. Mon oeil ! Sous le couvert, qu'il faut qu'on arrête, plutôt ! Devenir respectables pour être respectées. Si on arrête, il faut que ce soit pour arrêter. Pas pour ne plus se faire battre ou regarder de travers. C'est la violence qui doit cesser. La violence de partout : police, pimps abuseurs, clients agresseurs, féministes abolitionnistes ou qui réfléchissent, pendant qu'on meurt. Qu'est-ce ça va prendre pour nous croire. Des histoires personnelles de filles fuckées?

Ben en v'là une.

Pute. Marie-Claude Pratte J'ai été abusée quand j'étais fillette, comme plusieurs aiment tant dire. Désolée, j'avais sept ans la première fois, pas trois ans, ni huit mois. Et je suis virée pute de rue, junkie en plus et oui, il y en a un rapport. Mais c'est mon histoire, la mienne. Je suis travailleuse du sexe et bien d'autres choses, lesbienne et féministe entre autres et oui, il y en a un rapport. Je ne suis pas conne, ni victime de proxénètes, ni de personne. Je suis pockée et je me démerde pour être bien avec tout ce que je suis. Je veux être respectée pour tout ce que je suis. Et des fois j'en arrache, oui à cause de la vie que je mène, à cause des politiques de refus de mon combat, de ma réalité, de mon existence surtout. Et c'est exactement pour ça que je suis pour la décriminalisation des clients et de la prostitution. Parce que je suis écoeurée de me ramasser en dedans, que j'en peux plus de me faire mettre des guns dans la face et que j'en peux plus de me faire cracher dessus par tout le monde, même par vous, mesdames, mes soeurs. J'aime les femmes, j'aime les putes, on est crissement belles et fortes. On a le droit de vivre, comme on veut ou comme on peut. C'est nos histoires, notre histoire. Je veux prendre soin, faire attention à nous. Je ne veux plus qu'on soit maltraitées. Par qui que ce soit. Capiche!

Ne plus m'asseoir, tant qu'on ne voudra pas de nous debout, mesdames.

Et puis, parlons-en des fillettes.

Les petites pleines d'entailles. Les ceriseraies, massacrées dans les jardins d'écorches, qui dégoulinent par milliers dans les filets des démons crasseux et des gentils monsieurs. Terrible, absolument terrible. 10.000% contre l'abus sexuel, envers qui que ce soit. Et contre la prostitution des enfants. Où que ce soit. Oser demander tout de même, à quel âge on commence à avoir du pouvoir sur nos vies ? Jusqu'à quel âge on est fillette, 12, 14, 18, 37 ans ? Et quand la puberté s'installe à onze ans et que toute la famille travaille depuis l'âge de huit ans ? Est-ce qu'on est plus ou moins fillette selon la richesse de notre coin du monde ? 10.000% contre la pauvreté. Contre l'abus de qui que ce soit. Shop de bonbons gluants, usine de textile, de running shoes, de semelles de poques. La production de c'est ça qui est ça sur les innocences bafouées. Parce que les crapules sont aux aguets. Parce que les compagnies engagent. Et parce qu'il faut manger. La production de force de travail. De machines à sous et de slut machines. Qui savent ce qu'elles vivent, fillettes ou pas.             Et qui jouent et qui rient encore.             Tout n'est pas foutu.

Pis un moment donné, on sait compter. L'argent et le pouvoir qu'on a.

Pis un moment donné, les fillettes deviennent salopes, même pour vous, quand, dans la chambre rouge, on a enfin le dessus sur les monsieurs gentils gentils. Pis que c'est ça qu'on veut. Pis qu'on veut travailler. Peut-être, oui, parce que c'est ça qu'on a appris, pis so what, on a quand même besoin de bonnes conditions de travail ! Les ondulations et les grosses criss de scraths qui s'imbriquent pour faire la paix avec le tordu. Nos stratégies de résistance.

Mais encore victimes, selon vous.      Vos stratégies d'utopie

        Pas d'allure de vouloir être heureuses. Se faire taire jusqu'au désir d'être bien. Avec tout ça.

Encore victimes, de vous.


Et les dominos manquants. Vendre dieu et diable, sucer diable et dieu. Toutes sortes de Bouddha et de démons. Les labyrinthes du flou. Nos discours de corps. Nous sucerons tous les dildos du monde si on en a envie ! Si on en a besoin. Et même si on n'a pas le choix. Payer le loyer, les dettes de papa, nourrir les enfants, partir sur la go, s'acheter un manteau de fourrure et des brassières sexy. Fini d'être agressées pour autant. Full droit d'exister, de faire notre job si on l'aime et même d'exercer ce sale métier. Full droit de croire que le prochain salaud même déguisé en abolo, je le tue !

Tous ceux et même celles qui nous éventrent.

Alors. Alors, désamorcer les bombes et nous écouter.

Reconnaître que la violence doit cesser, reconnaître que même dans nos histoires d'horreurs on a nos bons coups et que, veut veut pas, ces histoires terribles, ce n'est pas la majorité. Il y en a plein de belles histoires, plein. Et plein de quotidiens bien simples, de métro boulot dodo. Et oui. Reconnaître que nous savons ce qu'il nous faut.

Puis, peut-être s'asseoir ensemble pour avancer, mes soeurs

Pour déterrer les assassins.

Puisque que toutes les femmes, transsexuelles et travesties qui se font harceler ou agresser se font traiter de putain, il me semble que ça a de l'allure de lutter pour changer ce que ça symbolise, être putain. Plutôt que de ne plus vouloir qu'on existe. Puisqu'on existe. Des millions de femmes gagne-pain.

Le droit de vivre, d'être protégées, d'être respectées.

Arrêtez la violence. Arrêtez le mépris. Stella à la Marche mondiale des femmes en l'an 2000 Le droit de vendre des services et le droit qu'on nous en achète

Pis va te laver, ou décâlisse !


Des milliers de travailleuses du sexe en France, au Nigéria, au Mexique et même en Suède, partout, à dépoussiérer les mythes. Partout des combattantes, des résistantes, des fatigantes.

Parce qu'avec tout cela, nous sommes aussi

Pleines de désirs et de plaisirs

Trippeuses, aimantes, alarmantes, putains et féministes. Du pouvoir, plein de pouvoir. Dans les yeux, la tête et entre les jambes. Plein la gueule. Jouissives. Jouisseuses. Vaillantes, travailleuses, courageuses. Depuis toujours, à tout jamais

      Femmes!


Roxane Nadeau
nadeauroxane@yahoo.ca
Ho Chi Minh City, Vietnam, octobre 2002

Toiles : Marie-Claude Pratte
Édition Web : Nicole Nepton

On peut télécharger "Parole de pute" en format doc.
Ce texte a été publié dans le ConStellation "spécial international" de l'hiver 2003.


© Roxane Nadeau, 2002

Mis en ligne le 21 octobre 2002 par Nicole Nepton
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