PORNOGRAPHIE ET POLLUTION DE L'EAU, OÙ EN SOMMES-NOUS ? (1981)

par Lise Houle, présidente de l'AFÉAS

À la fin des années 1970, la question de la pornographie est à l'ordre du jour. Les groupes réformistes sont prompts à s'en saisir et à organiser, à partir de 1981, de multiples actions pour la contrer. Dans une stratégie lourde de symbolisme, l'AFÉAS associe systématiquement ses deux dossiers prioritaires : la pornographie et la pollution de l'eau. Dès 1977, l'AFÉAS réclame l'interdiction des sex-shops aux mineurs. Elle réclame l'année suivante la régulation de la vente des journaux et revues pornographiques. En 1979, elle s'attaque aux films porno. En 1981, elle propose un plan d'action détaillé : 1. Impliquer les hommes dans ce combat (auprès des associations masculines); 2. S'assurer du respect des lois existantes; 3. Exiger du ministre de la Justice l'interdiction des films hard-core. De nombreuses actions ont lieu, à travers le Québec, pour faire fermer des établissements. L'éditorial reproduit ici tente de faire le point sur la question et résume les analyses qui sous-tendent les actions.


Depuis deux ans, l'AFEAS a comme priorités d'action la pornographie. J'imagine que dans votre cercle, certaines actions ont été posées telles : visites au dépanneur du coin, chez l'épicier, lettre au ministre de la Justice ou au député, discussions ou rencontres avec d'autres femmes ou organismes sociaux masculins, etc. Qu'importe le genre d'actions posées, je suis curieuse de savoir quelle attitude vous avez maintenant devant les différentes facettes de la pornographie. Que ressentez-vous? De la révolte ou de la gêne, de la répugnance ou tout simplement de l'indifférence?

Quel comportement adoptez-vous? Vous êtes-vous impliquées dans les actions de votre cercle? Etes-vous allées chez l'épicier? Avez-vous fait quelque chose de tangible pour contrer le phénomène de la pornographie ou êtes-vous tranquillement restées dans votre coin en vous disant que cela ne vous regardait en aucune façon?


Chez nous ça n'existe pas

Peut-être avez-vous l'impression que votre petite municipalité est à l'abri de toutes ces manifestations pornographiques. Après tout, vous n'habitez pas Québec ou Montréal!

Vous vous dites même peut-être : "en tout cas, chez moi, il ne rentre aucune littérature pornographique. Mon mari et moi n'allons jamais voir ce genre de films". Et c'est avec la conscience tranquille que vous dormez sur vos deux oreilles.

Peut-être bien que chez vous, la tabagie, le dépanneur, l'épicier ou le cinéma de quartier ne vendent pas de journaux ou ne projettent pas de films pornographiques, ce qui m'étonnerait beaucoup. Car il est rare qu'une municipalité, si petite soit-elle, n'ait pas son commerçant de journaux, son petit hôtel ou débit de boisson où spectacles accompagnés de projections ne se fassent pas et cela à deux pas de chez vous.

Et puis la ville est tout près. Les enfants y vont maintenant chaque jour pour l'école et vous y effectuez votre magasinage et vos sorties de fin de semaine. Il serait peut-être temps d'enlever vos œillères afin de bien regarder où le loup se cache. Les forêts se sont clairsemées avec les années.


Un dossier lourd et complexe

Le phénomène de la pornographie prend depuis quelques années beaucoup d'ampleur. A cet effet, de nombreuses personnes s'y sont intéressées, entre autres, des groupes de femmes comme l'AFEAS, les Cercles de fermières, la Fédération des femmes du Québec, la Fédération des unions de familles, les Parents secours, pour ne nommer que ceux-là et, bien sûr, le Conseil du statut de la femme.

Protéger les enfants de cette littérature, dénoncer l'utilisation qu'on fait du corps des femmes, voilà les principales actions de ces groupes.

Il n'est pas facile d'attaquer cet empire qui génère chaque année des millions, si ce n'est des milliards de dollars. De plus, la pornographie ne date pas d'hier. Une recherche, effectuée par des étudiantes en troisième année de sociologie à l'Université Laval, démontre que la pornographie s'est développée après la Deuxième Guerre mondiale et qu'elle a connu un essor prodigieux surtout dans les pays développés. Durant les années 70, la montée de sa popularité a été plus fulgurante encore, à mesure que les femmes y allaient de leurs revendications.

Compte tenu que cela fait maintenant partie de nos mœurs, notre niveau de tolérance est assez élevé et varie nécessairement d'un individu à l'autre. Mais il existerait des critères très sévères qui permettraient de dire avec exactitude ce qui est d'ordre érotique et d'ordre pornographique.

Car voilà le hic! Le tout est si savoureusement mélangé qu'on a peine à distinguer nettement ce qui peut être pornographique ou érotique. De plus, les pornocrates ont récupéré le féminisme en nous donnant comme exemples des femmes pleinement libérées de leur corps et très heureuses de le prostituer, d'être bafouées, battues et violées avec le sourire, comme si elles en retiraient un plaisir certain. Les femmes ne marchent pas dans ces histoires. Etre battues et violées par un homme qui n'a d'autre objet que d'assurer sa domination ou être rabaissées à l'état animal et se voir obligées d'agir ainsi, il n'y a que des êtres détraqués pour croire à des histoires aussi sordides.

Comment un être humain qui se respecte et qui respecte les autres peut-il se conduire ainsi? Comment peut-on arriver à mépriser avec autant de force des hommes, des femmes et même des enfants et jouir comme acteur et comme spectateur de ce mépris sans qu'une certaine gêne, humiliation, si ce n'est une rage, nous envahissent. Car les femmes comprennent maintenant que le viol, la violence et la pornographie sont intimement liés. Le mépris fait aux femmes sous-tend ces trois phénomènes et si une société tolère l'expression de ce mépris sous toutes ces formes, imaginez un peu ce qui peut arriver. On sait pertinemment que le taux de criminalité est en hausse continuelle, le nombre de viols augmente et le nombre de femmes battues s'accroît. La tolérance et l'indifférence risquent à coup sûr de nous mener tout droit vers cet état de choses.

Les femmes doivent cesser de parler de la pornographie en vase clos. Elles doivent concerter leurs efforts et sensibiliser les hommes : maris, copains, et groupes masculins afin de les amener à poursuivre des actions communes. Les femmes doivent continuer de questionner la société en général. Elles doivent voir à ce que la législation en ce domaine soit exercée et faire obstruction au cinéma "hard core1" qui semble prêt à s'installer dans nos salles de cinéma. Le directeur du Bureau de surveillance du cinéma, M. Guérin, dans une entrevue qu'il accordait à la Presse, disait que les gens au Québec étaient prêts à visionner le "hard core". Seulement, il y a un petit problème à l'horizon, les groupes de femmes s'y opposent.

Comme les changements de mentalité sont longs à se produire, la lutte sera dure. Il faut que chaque femme se sente directement concernée par la pornographie car l'image de la femme qu'on y projette ne peut laisser aucune femme indifférente car c'est son corps et sa dignité qui sont en jeu.

Il faut aussi mentionner et sensibiliser les utilisateurs et les commerçants de pornographie et faire des pressions auprès de ceux qui nous représentent, que ce soit au municipal, au provincial et au fédéral.

Les femmes ne doivent plus se taire et ne pas lutter contre les hommes, mais avec eux, pour enrayer la montée de la pornographie sous toutes ces formes. [...]

[Source : Femmes d'ici, vol. 15, no 8, avril 1981, p. 8-9.]

Document relié : La pornographie décodée: information, analyse, pistes d'action, Ginette Busque, Cécile Coderre et Noëlle-Dominique Willems, 1988



© Éditions du remue-ménage, 2003

Mis en ligne le 1er octobre 2004 par Nicole Nepton
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