D R A M E S   N A T I O N A U X 27-06-02

par Brigitte Verdière

Somalies au Kenya encore déplacées après que la rivière ait innondé leur camp
Le Québec vit un drame national. Non pas celui de reconnaître la pauvreté qui règne dans la province. Non pas celui d'apprendre qu'un enfant sur deux de moins de cinq ans est mal nourri à Montréal. Non : le drame c'est que, faute de rentabilité commerciale, il n'y aura plus de diffusion de matches de hockey sur la chaîne de télévision publique.

La France vit un drame national. Non pas celui de compter près d'un cinquième d'électeurs prêts à élire un président fasciste, exclusif, raciste, machiste, ni celui d'avoir élu un président qui est, de notoriété publique, un corrompu et un voleur. Non : les Bleus ont été éliminés, dès le premier tour de la Coupe du monde de football.

L'Argentine vit un drame similaire. Vous avez compris que je ne fais pas allusion à la corruption et à la gabegie qui ont plongé ce pays dans un marasme économique sans précédent.

La Colombie, le Congo, le Sri Lanka, l'Iran... vivent des drames nationaux. Ces pays sont parmi les plus gros fournisseurs de personnes déplacées et réfugiées dans le monde. Est-ce la peine que je vous dise que la grosse masse de ces personnes sont des femmes, des enfants et des vieillards?

Les nouvelles que diffusent, reprennent, relaient, amplifient les journaux de par le monde répondent, en gros, aux mêmes règles : proximité (un mort dans mon voisinage m'émeut plus que 50 morts au bout de mon continent), sensationnalisme, léger ou non, originalité de l'information... Alors, les vrais drames humains qui accablent de manière récurrente la même portion la plus faible de la société, qui s'en soucie? Au cours de l'été 2002, il y avait pourtant de quoi se faire quelques cheveux blancs : journée internationale contre le travail des enfants (12 juin); sommet sur l'agriculture et la faim dans le monde à Rome (boudé par les pays riches), etc.

Ces histoires ont des noms, des visages. C'est Ricardo, un ami étudiant colombien, qui ne se voit pas d'avenir dans son pays ravagé par la guerre civile et la violence. C'est Doina, en Roumanie, qui a donné naissance à sa petite fille trisomique parce que, dans ce pays arriéré, on n'impose pas de test aux femmes enceintes de plus de 35 ans. C'est Amina, au Mali, qui veut mettre sur pied des actions contre les mutilations génitales dans son village natal et que sa mère prévient : "Ne viens pas parler de cela ici!"

Et il y a notre entourage, nos expériences, nos lectures, nos engagements. Il est simple de faire une analyse "spécifiquement féministe" de ces drames. Toutes les statistiques (UNICEF, UNESCO, UNIFEM) portant sur la prostitution, l'analphabétisme, les soins de santé, la nutrition montrent la sur-représentation des femmes. Et je renvoie à nos propres informations qui ne répondent pas aux impératifs commerciaux et qui ne surfent pas sur la corde nationale, dont un des archets est le foot.

Ah le foot! Que je vous en dise quand même quelques mots. Pas besoin d'être grande sociologue pour constater que c'est un monde exclusivement masculin, et même guerrier. Oui, oui, il suffit de faire une analyse sommaire du vocabulaire qu'utilisent les journalistes sportifs pour en être convaincue.

Nikewatch Quant aux débordements et au nationalisme bien malsain qu'il génère, sans parler de l'illusion "d'être ensemble" qui sert si bien les gouvernements. Ainsi, lors de la finale de la coupe du monde de football en 1998, j'étais fenêtres grandes ouvertes sur une des rues les plus animées de Paris. Vers minuit, des groupes de jeunes ont envahi la rue en chantant, en gueulant. Ils montaient sur les capots des voitures, apostrophaient le monde. Il y avait, parmi eux, un fort contingent de jeunes Français d'origine arabe. Ces jeunes ont cru tenir leur revanche, prendre leur place dans cette société si dure avec eux. Ah, Zidane, enfin ils avaient un héros ! Et même les bleuettes bien franchouillardes, qui regarderaient jamais un frisé de trop près, en pinçaient pour le bel Algérien. Mais n'allez surtout pas leur parler des jeunes qu'elles pourraient côtoyer dans leur ville au jour le jour. Ceux-là n'ont pas la cuisse de Zidane. Ça, c'est le racisme au quotidien. Il est vite remonté à la surface.

Et qu'y gagnent les filles dans cette grande foire? Pas grand chose. Mais bon, c'est pas le moment de chialer, les télés du monde ont du fric à faire, les marques de sport aussi, avec leurs chaussures et chemisettes fabriquées dans les usines du tiers-monde par des enfants et des jeunes femmes qui n'auront jamais, de leur vie, les moyens de se payer une télévision, de regarder un match de foot à la télé, et croyez-moi, si elles sont comme moi, elles s'en fichent éperdument de ce combat-là.


Article relié : L'information laser, Laurent Laplante, 04-09-03





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Personnes déplacées et réfugiées

Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) protège les réfugié-es, c'est à dire les personnes qui ne peuvent plus se prévaloir de la protection de leur propre gouvernement. Nombreuses sont celles qui fuient ces mêmes dangers mais qui ne peuvent ou ne souhaitent pas franchir de frontière. Ce sont des personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays. Du point de vue juridique, elles relèvent de la souveraineté de leur propre gouvernement, même si celui ci ne peut ou ne veut les protéger.

Les femmes, notamment les jeunes filles, les veuves âgées et les mères chefs de familles, comptent parmi les victimes les plus durement touchées par la violence et l'incertitude liée au déplacement. La violence sexuelle et l'exploitation sont des expériences qu'elles vivent si fréquemment que c'est un scandale.


Photos
Le 20 juin 2002, le HCR consacrait aux femmes la Journée mondiale des réfugiés afin de souligner le rôle vital qu'elles jouent dans les camps et dans la cohésion des familles déracinées. Cette galerie de photos illustre leur courage et leur dignité.




L'esclavage prospère

Le nombre d'esclaves n'a jamais été aussi imposant qu'actuellement. Si l'on en croit le Bureau international du travail, pas moins de 120 millions d'enfants sont condamnés au travail forcé 7 jours sur 7. Lorsqu'on ajoute ceux et celles qui sont exploités sous diverses formes, on frôle les 300 millions. Après des années de pilotage à vue sur le sujet, voilà que les Nations Unies consacrent - enfin! - une année au pire des fléaux. Qu'on y songe : le Programme international pour l'abolition du travail des enfants a été mis en place en 1992. Quand est-il entré en vigueur? En septembre 2002. 10 ans à louvoyer, 10 ans à camper le rôle de l'autruche. Le mode de pensée fait de "gros bon sens" étant dominant, on peut être assuré d'entendre "Mieux vaut tard que jamais." Des milliers de morts enterrés sous un proverbe...

Pages reliées :
Slavery by continent - 21st Century Slaves

Children's World Congress on Child Labour, mai 2004

Positive Chocolate Campaign, Save the Children Canada

L’exploitation des enfants par le travail, Comité de Solidarité Tiers-Monde de Trois-Rivières



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Édition Web et mise en ligne : Nicole Nepton