L E S   F E M M E S   À   L ' É C O U T E   D E   L A   T E R R E  12-06-02

par Brigitte Verdière


La terre en héritage Si l'on écoutait un peu plus les femmes, le modèle de développement de l'agriculture serait certainement plus harmonieux. Il respecterait mieux les besoins des hommes et de la nature. En un mot de la biodiversité. Ce constat provient de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture) qui s'est dotée d'un plan d'action pour 2002-2007, Parité hommes-femmes et développement, et qui possède une section "genre" dans son site Internet très bien documenté.

L'organisation constate que les femmes, surtout dans les régions pauvres de notre planète qui sont, on le sait, légion, ont une connaissance intime du sol, des plantes et des écosystèmes. Cette connaissance est mise au service de leur communauté, afin de produire la nourriture nécessaire aux hommes et aux bêtes. Faute de moyens, ces agricultrices n'utilisent pas d'engrais : la nourriture qu'elles servent est naturelle. Et les femmes "ont souvent une connaissance plus grande et plus spécialisée des plantes sauvages que les hommes". Et toc!

L'ennui, c'est que tout ce beau savoir, dont les féministes sont conscientes, n'est pas reconnu. Dans l'octroi de crédits et dans les différentes réformes agraires qui ont eu lieu dans plusieurs pays, la terre a été attribuée à l'unité familiale représentée par son chef. En un mot, à l'homme. Que celui-ci meure ou quitte le foyer, ce qui est relativement courant, la femme se retrouve sans rien. Elle ne peut pas formaliser la possession de sa terre.

Analysant cette question particulière en Amérique latine, la FAO (décidément, c'est mon site fétiche cette semaine), constate que si la parité hommes-femmes est bien inscrite dans la constitution, elle n'est pas encadrée juridiquement sur le terrain et qu'il y "subsiste partout une culture patriarcale et discriminante à l'égard des femmes"!

L'on sait l'impuissance de l'organisation que les pays riches, dans leur égoïsme monstrueux, refusent de financer, préférant soutenir leurs multinationales dans leurs conquêtes sur le terrain. Ces conquêtes sont de tous ordres : terres (combien de petits lopins voués à l'agriculture de survie sont accaparés par de grands groupes qui y font de l'agriculture extensive, dont la production est toute tournée vers l'exportation), semences (par le biais de la vente de semences d'OGM, les paysans sont liés à un groupe transnational), culturelles (transformation du mode de consommation qui en découle).

Au milieu de ces attaques venues de toutes parts, les femmes constituent un îlot de résistance. Parfois contraint et forcé. Ce sont elles qui assurent la nourriture quotidienne de la famille, elles qui font le pain, la galette et font cuire le riz. Elles qui tirent le maximum du minimum qui est à leur disposition. Elles qui savent la valeur de chaque plante, son utilisation. Elles qui rationalisent, réutilisent, recyclent. Mais au prix de quels efforts!

Porteuses d'eau au Rajasthan Une de mes amies originaire de Pologne m'a parlé récemment de sa tante qui vit à la campagne, au sud de Cracovie. Elle fait son pain, cultive son jardin, élève ses poules... De tout cela, elle tire sa nourriture. Les épluchures de pommes de terre, de carottes, de fruits, etc., repartent en engrais. Le papier est brûlé. Bref, hormis les emballages de sucre, de sel et d'huile qu'elle achète à l'extérieur, elle ne produit aucun déchet. C'est une écologiste parfaite. Sauf qu'elle trime du matin au soir depuis des années. "Même en Pologne, elle est un cas à part", m'a confirmé mon amie.

Se battre pour l'accès à la terre et la reconnaissance de la place des femmes, dans ce secteur-là aussi, n'est pas suffisant. Il faut le faire en exigeant, parallèlement, tous les services qui rendent la vie plus facile : accès à l'eau, à l'énergie, à l'éducation, aux moyens de communication, terrestres et autres. Faute d'eau disponible à proximité de leur habitation, de nombreuses fillettes sont mobilisées quotidiennement dans le monde pour cette corvée, qui les oblige à couvrir des kilomètres avec une lourde charge. Cela les empêche d'aller à l'école, d'apprendre à lire, à compter. Une réforme agraire n'est pas qu'une réforme des modes d'acquisition de la terre. C'est une réforme de l'acquisition des savoirs. De tous les savoirs, faute de quoi elle est vouée à l'échec.




Chronique suivante >>>
Chronique précédente >>>

Luttes et résistances >>>



GENRE et sécurité alimentaire

Ce site de la FAO montre le rôle essentiel que jouent les femmes dans la sécurité alimentaire de la planète. Quatre femmes de Bolivie, du Népal, de la Turquie et du Zimbabwe témoignent de leur combat quotidien pour nourrir leur famille.

Voir aussi :
Ça bouge dans les campagnes!, Dominique Foufelle, 04-04

Assurer les droits des femmes à la terre, à la propriété et au logement: stratégies du Sud, Droits et Démocratie, 2000

Les inégalités hommes-femmes: les plus répandues des inégalités sociales, CRDI, 07-03-03



Vandana Shiva et la force créatrice des femmes

Des Indiennes himalayennes d'origine modeste sont à l'origine du mouvement Chipko voué à la sauvegarde de la forêt. Dans leurs perceptions et leurs croyances, la physicienne et militante féministe Vandana Shiva a trouvé les bases de sa connaissance de l'écologie. Elles lui ont donné une nouvelle vision des rapports entre les êtres et les choses. Dans Staying alive, elle explique qu'elle doit sa "sagesse" à des femmes considérées comme incultes ou marginales et vivant dans une société qu'on qualifie d'arriérée alors qu'elle a réussi à se perpétuer des siècles durant. On devrait plutôt la considérer comme un modèle de résistance.

Par rapport aux civilisations avides de croissance et promises à l'effondrement, les civilisations éternelles incarnent la capacité de renouvellement, de guérison, la possibilité de prendre et de recevoir, de construire et de créer. Par contre, les femmes du Nord sont tout aussi concernées par l'environnement. Même au sein des sociétés les plus avancées, c'est aux femmes qu'on laisse le soin de s'occuper des enfants, de la maison et de la santé.

Pages reliées :
Interview: Dr. Vandana Shiva, NOW on PBS

Dr. Vandana Shiva: Whose Freedom? Which Fredom?, WorkingTV, 15-06-98




retour en haut de la page



Édition Web et mise en ligne : Nicole Nepton